28 septembre 2018

Le tango est une danse emblématique en Argentine. Buenos Aires vibre au son de ses pas et de ses mélodies, les Porteños se rendent dans les milongas le soir venu pour admirer les danseurs, professionnels comme amateurs. Nous avons plongé à la découverte de cette tradition empreinte à la fois de nostalgie et de jeunesse à travers un évènement phare de la vie dans la capitale : le mondial de tango, tous les ans au mois d’août à Buenos Aires.

La Usina del Arte fait partie des nombreux et florissants centres culturels de la capitale. Elle a été construite au début du XXe siècle et inaugurée en 1913. À l’origine, son architecte italien Giovanni Chiogna l’a désignée comme le Palacio de la Luz, abritant la compagnie argentine d’électricité, au cœur du quartier populaire de la Boca, au sud de Buenos Aires. C’est un édifice en brique, de type industriel. Il est rénové à la fin du siècle, on y ajoute alors une salle de musique, un petit cinéma, différentes pistes de danse et on remet à neuf sa structure de métal et de verre, qui permet de faire rentrer une lumière douce et poétique dans le bâtiment. La Usina del Arte possède une surface de 15 000 m² dédiée dans son intégralité aux arts. Musique, orchestre, danse, ballet et cinéma s’y retrouvent durant toute l’année. En outre, elle accueille tous les ans une partie des épreuves du mondial de tango. En parallèle du mondial de tango se déroule également le festival international. Ils existent tous deux depuis 2003 et regroupent chaque année plus de 500 000 spectateurs. Le mondial rassemble cette année 700 couples en compétition lors des différents tours, tandis que le festival invite tous les amateurs à des évènements collatéraux : concerts, milongas, cours de danse. Le festival et le mondial de tango sont devenus année après année des incontournables de la culture de la capitale.

Nous avons la chance de nous rendre dans la matinée aux premiers tours de qualification, dans la grande salle de danse du centre culturel. Là, une dizaine de couples évolue sur le parquet ciré, pour donner le meilleur d’eux même dans cette danse d’improvisation et essayer de parvenir au tour suivant. La salle est comble, les photographes et caméramans sont nombreux pour l’évènement. Il faut dire que le tango n’est pas qu’un loisir à Buenos Aires, c’est une véritable tradition, une institution touchant toutes les générations.

Dans la capitale argentine, jeunes et anciens se retrouvent souvent le soir dans les milongas de la ville, bal où est exclusivement pratiqué le tango. Ce dernier n’est pas arrivé ici par hasard. Buenos Aires est connue pour être une ville d’immigration, issue d’Europe ou bien d’Amérique latine. Les différentes populations s’y brassent pendant tout le XIXe siècle. Le tango naît d’une association de différents styles de danses, issus des communautés noires et blanches de Buenos Aires. Les blancs apportent d’Europe leurs danses de salons et les noirs y ajoutent leurs rituels et leur musique, le tout formant une nouvelle forme de danse populaire, dansée en couple, sur un schéma à quatre temps. Michel Plisson écrit à propos du tango argentin « Une rythmique afro, des musiciens italiens jouant sur des instruments allemands, des mélodies d’Europe de l’Est avec des paroles qui viennent des zarzuelas espagnoles. ». Le tango est pendant ses débuts une danse considérée comme quelque peu vulgaire, car trop sensuelle ; elle est particulièrement populaire. Les hommes s’y entrainent d’abord entre eux, par manque d’équilibre démographique entre les deux sexes (seulement 46% de femmes au début du XXe siècle, les immigrés étant majoritairement des hommes ayant laissé leur famille au pays). Ils exportent ensuite le pas vers les bordels où ils dansent le tango avec des prostituées, d’où cette connotation sulfureuse. Cependant, les jeunes bourgeois parisiens notamment, après des voyages en Amérique latine, s’entichent de cette danse séduisante et sensuelle pratiquée dans le Buenos Aires de l’époque. Le tango devient alors rapidement une pratique à la mode dans les salons européens. Et comme ce qui se passe à Paris a alors toujours des répercussions dans la capitale argentine, le tango devient une danse phare de la première moitié du XXe siècle, à la fois en Europe mais surtout en Argentine et en Uruguay.

Le tango subit ensuite un fort déclin dans la seconde partie du XXe siècle. Il est peu à peu redécouvert dans les années 1990 et redevient le trésor portègne par excellence. Le Mondial et festival de tango de Buenos Aires, qui ont lieu chaque année, sont la preuve de la longévité de cette danse centenaire, à la fois empreinte d’un charme désuet et d’une sensualité pleine de modernité. Assister à ces compétitions, c’est reconnaître le paradoxe de cette danse aux milles couleurs et à l’inventivité interminable.

Les couples gravissent l’un après l’autre les escaliers qui mènent des coulisses à la scène ; ils sont une dizaine et doivent montrer une parfaite maitrise du tango pour passer au tour suivant du Mondial. La musique est lancée. L’homme et la femme se regardent profondément, à environ un mètre d’écart, avant de s‘approcher lentement, de s’enlacer (abrazo) et de se lancer dans leur folle ronde tout autour de la piste de parquet, en évitant soigneusement de gêner les autres danseurs.

Le tango est un pur moment de grâce. Les pas suivent le rythme doux et en même temps enjoué de la musique. Les chansons racontent des amours déçues, des sujets graves, sur un son de guitares, de flutes et de bandonéon. Les robes des femmes volent, leurs pieds glissent à l’inverse de ceux des hommes, censés guider le pas. Leurs mains sont serrés, leurs regards sont sûrs, droits, déterminés et profonds. Certains couples ont le même âge, la plupart sont jeunes, d’autres sont composés de deux hommes, deux femmes, une personne plus âgée que l’autre. Le tango argentin nous offre cet éventail unique de la population locale, mais aussi de celle du monde entier dans cette compétition planétaire. Russes, Italiens, Français, Espagnols et Argentins … Tous sont venus partager leur passion de cette danse à nulle autre pareille.

Une semaine plus tard, 19h, Luna Park. Une salle de plus de 9000 places presque comble. Nous sommes à la finale du mondial de tango de piste. Quatre rondes de 10 couples s’affrontent tour à tour sur la scène, sous les acclamations de la foule ravie, venue de tout Buenos Aires, de Salta, de Medellín et même de Russie et d’Italie. La finale du mondial de tango a cette chose de magique qu’elle parait hors du temps. Les couples tournent, se balancent et s’emmêlent sur les plus grands classiques du tango. La compétition est rude, mais elle est vraie. Les jambes élancées de femmes s’étendent sur le parquet, les mains des hommes guident leur cavalière, parfois lentement, d’autres fois dans un rythme effréné, lorsqu’arrivent les dernières secondes de la chanson. Il y a des très jeunes, des moins jeunes, des couples qui semblent avoir usé leur vie sur une piste de tango.

Le spectacle est grandiose, il évolue au gré des applaudissements et des éclairages de la scène. Il s’achève évidemment par la remise des prix aux cinq meilleurs couples. Les larmes coulent sur les visages des nouveaux champions du monde, un couple de Buenos Aires. La soirée s’achève dans un doux climat musical, les danseurs saluent le public heureux d’un tel spectacle. Chose exceptionnelle cette année, le podium n’était pas composé de trois mais de quatre couples, les deux derniers étant parfaitement ex-æquo en nombre de points jury ! Les déçus reviendront probablement la saison prochaine affronter les danseurs de tango les plus doués et renommés de la planète dans la ville de Buenos Aires, qui les accueillera une nouvelle fois à bras ouverts.

 

Josephine Boone

Carnet pratique

Envie d’en savoir plus ? Le tango en Argentine.

Un circuit ? Séjour tango à Buenos Aires.

 

Diaporama

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