27 mars 2019

Dans une ville en perpétuelle mutation depuis sa fondation au XVIe siècle, fleurissent sur de nombreux murs encore vierges, abîmés ou déjà peints, des fresques colorées, plus ou moins abstraites et expressives. Buenos Aires voit ses façades aujourd’hui couvertes de peintures clandestines ou commandées par l’État lui-même, dans une époque où le street art devient l’un des moyens d’expression principaux de la jeunesse.

Buenos Aires fait aujourd’hui partie des villes les plus au fait des évolutions sociales et culturelles du monde. Dans un monde globalisé, aux évolutions rapides et internationalisées, la culture se transporte, chevauche les frontières et les langues. Le langage de l’art est devenu planétaire et  c’est un facteur essentiel de rayonnement. Néanmoins, le street art a cette particularité, qui le rend unique et nouveau : il ne peut se déplacer, il est inclus dans le mobilier urbain, dans le paysage et dans le quotidien des habitants. Admirer des œuvres de street art, c’est se déplacer dans le monde, à travers les villes dont les murs sont de plus en plus recouverts de cette nouvelle forme d’expression. Le street art apparaît dans les années 1990, aux États-Unis, dans le Bronx à New-York puis en Angleterre. Il consiste en la peinture, les graffitis et les collages faits sur des murs de ville, vierges ou non, légalement ou non. C’est un art dit « underground », dans la mesure où il est le plus souvent caché, les grapheurs étant lourdement punis dans la plupart des États. Les peintures et les fresques se font la nuit, à visage couvert. Rapidement, le street art s’exporte dans le monde entier. Il est le symbole de cette génération qui cherche de nouveaux moyens d’expression autres que l’art classique, le moyen de critiquer, de contester, tout en transformant la réalité en quelque chose d’esthétique et le plus souvent, de coloré.

Se promener dans la capitale argentine entraîne tout de suite des interrogations et une certaine admiration pour cet art urbain de plus en plus encouragé et exporté. La ville de Buenos Aires est assez permissive en ce qui concerne le street art, les artistes ont souvent carte blanche pour repeindre les murs de la ville, et ont même droit à des subventions.

Nous nous sommes en particulier concentrés sur les quartiers de la Boca et de Barracas. La Boca est le port historique de la ville. C’est dans dans ce barrio aux mille couleurs que sont arrivés les premiers immigrés en Argentine, au XIXe siècle. Ce fut autrefois le port le plus important du pays, accueillant progressivement les Européens venus chercher fortune de l’autre côté de l’Atlantique. Arrivent alors par vagues des Italiens, des Espagnols, des Allemands. N’ayant pas spécialement de moyens de subsistance, ils construisent le quartier avec les moyens du bord : de vieux morceaux de bois et de taules trouvés çà et là dans le port. Ils peignent petit à petit leurs maisons avec la peinture destinée aux navires, dans la partie aujourd’hui la plus connue de la Boca, le Caminito. Des rues aux couleurs chatoyantes, aux petites boutiques et cafés touristiques. Cependant, il faut rappeler que cette réalité, aussi colorée soit-elle, en cache une bien moins belle. Les maisons de la Boca sont terriblement insalubres, les familles les plus pauvres s’entassent aujourd’hui dans des espaces minuscules, le plus souvent sans eau courante, voire sans électricité. La manière dont furent construites les habitations donne lieu à de terribles incendies dans le quartier, le feu restant prisonnier des parois en taule. Ainsi, les bomberos, les pompiers de la ville, sont des figures profondément respectées et célébrées sur les murs du quartier par des fresques et des graffitis.

Les murs de la Boca ont été particulièrement transformés en musée à ciel ouvert après la grande crise de 2001. Partout fleurissent des phrases assassines envers les dirigeants, le système capitaliste, la corruption. « Que se vayan todos », « No policia », en référence aux répressions policières lors de la crise, qui firent 26 morts en 2001. De même, le quartier est très marqué par la culture du football. La Boca est le berceau des deux plus grandes équipes d’Argentine : les Boca Juniors et River Plate. C’est dans la première que le célébrissime Maradona a commencé sa carrière. Partout, des murs à la gloire du dieu du football se dessinent, avec son maillot bleu et or de la Boca ou ciel et blanc pour l’équipe nationale.

Le street art se veut être avant tout un art politique. Depuis ses débuts, il a servi à dénoncer des phénomènes sociaux, les inégalités et la violence. À la Boca, et dans Buenos Aires plus largement, cela se caractérise par d’une part les dénonciations des la crise économique, de la pauvreté et de la faim, mais aussi par la critique de la dictature passée. Une large fresque représente cette opposition au cœur de la Boca. Entre 1976 et 1983, le pays est soumis à la dictature militaire répressive et intransigeante vis-à-vis de ses détracteurs, qui disparaissent les uns après les autres. Ce sont en tout plus de 30 000 desaparecidos qui sont enfermés, torturés et souvent tués par le régime, dans le plus grand secret. En protestation, les mères et grands mères des personnes disparues, souvent des jeunes, manifestent silencieusement sur la Plaza de Mayo et dans les rues de Buenos Aires, réclamant la libération de leurs enfants. La plupart des disparus ne furent jamais retrouvés, mais il se trouve que beaucoup de jeunes femmes enlevées étaient enceintes. On estime aujourd’hui à environ 500 le nombre de bébés enlevés à leurs parents et confiés à des familles proches du régime. Ces enfants, désignés comme les enfants disparus, font encore aujourd’hui l’objet de recherches. Plus d’une centaine ont été retrouvés grâce aux efforts des Abuelas de la Plaza de Mayo. Ainsi, on peut voir taggué un peu partout dans la capitale Ni perdón, ni olvido (pas de pardon, pas d’oubli) en faveur de ces victimes de la dictature.Les murs de Buenos Aires sont couverts de graffitis aussi bien de la main d’artistes inconnus et anonymes que de grands noms du street art : Jaz, Federico Bacher, Jef Aerosol, Blu, et bien d’autres. En effet, la ville attire des artistes du monde entier, qui viennent y réaliser de vrais chef d’œuvres en quelques heures ou quelques jours, sur les murs dédiés à cela par la ville, ceux des centres culturels ou encore des stations de métro.

Nous nous rendons ensuite dans le quartier de Barracas, tout au sud de Buenos Aires. Ancien quartier industriel, ses habitants ont subi de plein fouet la crise de 2001. La plupart des usines ont fermé leurs portes, laissant des milliers de personnes vivant dans des conditions déjà précaires sans emploi cette fois. Cela a donné lieu à une forte concentration de graffitis, tags et mosaïques et autres créations dans tout le quartier, en réponse au mécontentement et à la révolte liés à la dépression. Des visages de révolution, des enfants victimes de la faim, mais aussi des fresques colorées, arc-en-ciel, avec toujours un ton industriel, des notes ouvrières. L’exemple de la coopérative Ghelco est assez parlant : Ghelco était avant 2001 une fabrique de chocolat et de glaces florissante. Elle met la clef sous la porte suite à la crise, mais les 41 ouvriers de l’usine saisissent la justice afin de pouvoir continuer à travailler sans financement de leur banque, ayant elle aussi fait faillite. L’usine se transforme en coopérative grâce à la détermination des travailleurs, et celle-ci perdure encore aujourd’hui. Deux artistes de street art américains, Gaia et Nanook, ont peint sur le mur de la fabrique de glace une fresque rappelant l’histoire des ouvriers de Ghelco, avec 41 pots de glaces les représentant, et un signe infini dessiné par des mains les unes serrant les autres. Un bel hommage à ces hommes courageux et soucieux de maintenir la vie et l’activité dans un quartier pauvre et presque désaffecté depuis 2001. Visiter la ville de Buenos Aires par le prisme du street Art est une manière de comprendre les fondements de la société portègne aujourd’hui. Traumatismes, contestations, mais aussi fiertés et revendications. Une société somme toute paradoxale dans ses blessures et ses expressions, une jeunesse passant par les couleurs, l’architecture et la liberté pour s’exprimer en peignant et recouvrant les murs de sa ville.

 

Josephine Boone

 

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