Nous poursuivons notre route minérale, l’attention soutenue par la beauté des paysages. Parfois nous traversons un hameau habité par la solitude. Tout est encore plus grand que ce que nous avons croisé la veille : jadis ce pays devait être habité par des géants. Nous nous arrêtons au pied d’arbres où des centaines de perroquets font salon. Et puis nous arrivons dans un lieu de verdure, des arbres, des vignes à nouveau. Nous sommes maintenant devant la grille du domaine de Colomé sans que l’on nous ai prévenu : elle s’ouvre comme dans un film d’espionnage, et notre voiture nous amène à l’entrée d’une vaste estancia au bout d’un chemin pierreux, et nous n’avons encore rien vu.
L’accueil y est une nouvelle fois parfait. Une maîtresse de maison nous fait visiter les vastes lieux : salons, bibliothèque, billard, fumoir, salle à manger cathédrale, rien ne manque pour le repos du voyageur. Elle nous conduit à notre chambre. Nous découvrons une vue splendide de notre terrasse : des champs de lavande, des fleurs, puis des vignes, puis au loin, très loin, les quebradas.
Après une journée au galop, une piscine nous tend les bras. Nous y plongeons comme dans un « fleuve d’oubli ». Oublier l’autre monde, celui dont nous venons, l’Europe, vieille et belle, pour respirer ce pays jeune, au souffle long, aux lumières enivrantes, à la terre de cocagne.
Ecouter le silence des vignes lorsque vous vous séchez au soleil qui disparaît à l’horizon.
Colomé, jardin des paresses. Voir l’Argentine et mourir.
Il n’est pas trop tard. A cheval pardi ! Il y a trente cinq mille hectares à découvrir avec Ernesto et son lasso – car il n’est pas concevable d’aller en Argentine sans monter une fois à cheval, ce que nous faisons. Chevaux de conquistador, galops soulevant de la poussière de western, nous poursuivons le dieu soleil qui se couche comme envoûté par une mythologie inca qui n’aurait pas quitté les marches de son empire où nous nous trouvons. A l’arrêt, comme un signe envoyé par les dieux, mon cheval d’un coup de sabot tue un serpent inquiétant.
Au dîner, nous dégustons une cuisine argentine, simple et fine, et les vins de l’estancia, ces vins qui sont le suc de l’Argentine. Il n’y a que neuf chambres, peut-être dînerez-vous en compagnie d’hommes et de femmes comme vous, éblouis, loin, très loin de leurs vies habituelles, ce qui transforme chaque visiteur à Colomé en un être délicieux et ouvert. Nous passons au salon avec sa vaste bibliothèque des classiques de la littérature argentine ; en guise de liqueur, de la poésie de Borgès.
Le lendemain matin, le petit-déjeuner se prend sur une terrasse donnant sur une vallée des merveilles, plantées d’orangers exhumant leur parfum. Il faut partir vers les Andes. C’est un déchirement. Vous suppliez le guide, comme un bourreau : encore quelques minutes ! Colomé : ce nom restera gravé dans votre mémoire comme l’un des grands lieux de l’Argentine.
En route pour les Andes, pour Purmamarca. Avant d’arriver nous franchissons d’abord le col de la Piedra del Molino à 3348 m : le ciel oscille entre bleu andin et brumes aussi vite balayées qu’elles n’étaient apparues. La descente dévoile une vallée large où coule un rio dont le lit serpente comme la queue d’un dragon ; pour ne pas se faire emmener lors des crues hivernales, l’homme y a construit des retenues d’eau tout le long qui sont comme des prières dérisoires tant le combat semble inégal.
Puis nous repassons par Salta en passant sous la statue du grand libérateur, inventeur des gauchos, le général Güemes, mais pour aussi vite quitter la ville car plus rien ne semble pouvoir nous y intéresser : c’est de la nature que nous voulons. Et notre guide nous en promet.
Il faut alors traverser la forêt des yungas, forêt de l’air primaire, dense, inquiétante, véritable conservatoire de notre histoire terrestre : rien n’y a changé depuis des millions d’années ! La nuit tombe lorsque nous entamons notre montée vers la Quebrada de Humahuaca.
Arrivée la nuit dans un hôtel de bungalows sympathiques. Plongez dans la piscine à l’eau chaude naturelle. Dîner andin. Au réveil, stupeur : vous êtes dans une oasis, au pied de la montagne des Sept couleurs.
Argentina Excepcion, qui a tout prévu, nous suggère de marcher au milieu de ces montagnes malgré le cagna : nous voilà partis. Nous ne le regrettons pas parce que le soleil sublime les couleurs des parois, laissant apparaître ces dernières avec des intensités différentes selon le lieu où vous êtes, et à mesure que vous marchez la montagne change comme les costumes de Frigolo.